mardi 19 mars 2013

« Voilà le pétrole, voilà le feu : brûle ma maison si tu veux »


Je ne savais pas qu’en m’installant au Kurdistan irakien, j’allais rencontrer des gens aussi attachants et qui m’inspirent autant de respect. En deux mois ici, je me suis fait des amis, avec l’étrange sensation que c’est pour la vie. Ici, rien n’est anodin et rien n’est léger.  Peut être ai-je eu de la chance ? Tant mieux.

Notre ami Rizgar, 46 ans, est francophone et francophile. Ce solide gaillard aux yeux de miel et au sourire éclatant a vécu dix-huit ans en France. C’est un ancien combattant des guerres contre Saddam Hussein, qui a gardé de cette période noire des éclats d’obus dans le crâne. Et c’est vrai qu’il a du plomb dans la tête ;-). C’est un vrai sage. Il connait tout le monde, tout le monde le connait, et il est très respecté.

Rizgar nous fait découvrir le Kurdistan. Il aime profondément sa terre et elle n’a plus de secret pour lui. Et pour cause. Lorsqu’il était peshmerga (soldat de l’armée kurde), il sillonnait le Kurdistan à pied, par tous les temps, à toutes les heures du jour ou de la nuit. Préparant des attaques ou se cachant, poursuivi par des loups ou se battant contre des soldats,  il a vécu des situations extrêmes qu’il ne manque pas de nous situer sur les versants des montagnes que nous traversons. Et à chaque fois que nous passons par un village, aussi perdu soit-il, il connait tout le monde. Ce sont tous ses « copains », comme il dit. Les villageois ont beaucoup aidé les peshmergas pendant la guerre. Ils leur donnaient de la nourriture, un coin pour dormir au chaud. Pour Rizgar, aller les voir c’est une façon de leur montrer qu’il n’oublie pas ce qu’ils ont fait pour lui et ses compagnons d’infortune.

Ses « copains » nous invitent donc immanquablement à boire le thé dans leur maison. L’hospitalité kurde n’est pas une légende. D’ailleurs, un proverbe kurde illustre parfaitement la manière dont nous sommes reçus à chaque fois : « Voilà le pétrole, voilà le feu : brûle ma maison si tu veux ». Nous nous asseyons donc sur des tapis disposés par terre dans de grands salons, avec de gros coussins pour nous caler le dos, et nous profitons de leur hospitalité. Peu à peu d’autres gens de la famille arrivent et s’assoient avec nous. Ils nous racontent leur vie, leurs projets, leurs souvenirs de guerre aussi. On voit qu’ils sont heureux de se retrouver, que quelque chose de profond et de mystérieux a tissé des liens indestructibles entre eux. Je pose toujours plein de questions, curieuse comme je suis, et ils me répondent toujours avec bienveillance, même si parfois ils ne cachent pas un certain amusement.  

Il y a deux semaines, Rizgar nous a fait visiter un village dans lequel vit un de ses très bons amis, frère d’arme. Il nous explique que, pendant qu’ils étaient en train de combattre, toute la famille de cet ami, restée dans ce village, a été gazée par les troupes de Saddam Hussein. Il ne lui restait personne : père, mère, frères, sœurs, tantes, oncles, cousins, voisins. Tous morts. Il avait seize ans. Je regarde cet homme au regard doux et affable. Rien dans son regard ne laisse transparaître un tel drame. Je lui demande (par l’intermédiaire de Rizgar qui, heureusement, traduit nos conversations) si ce n’est pas trop difficile pour lui de vivre dans le village où toute sa famille a péri. Il me regarde, en souriant, et me dit qu’il n’y a qu’ici qu’il se sent vraiment bien. Il aime son village, sa montagne. Et il n’aime pas en sortir.

Au moment de se dire au revoir, je vois Rizgar et son ami qui se racontent des choses et éclatent de rire. Plus tard, dans la voiture, je lui demande de quoi ils parlaient. Il me répond qu’ils se souvenaient d’un de leur chef pendant la guerre qui était un peu ridicule. Il réfléchit un instant puis ajoute : « Tu sais, c’est vrai que c’était dur tout ça. Mais on a aussi eu des moments où on rigolait bien… ». Chapeau.

Les kurdes que j’ai rencontrés ont deux points en commun. Le premier, ils racontent leur drame avec beaucoup de simplicité, sans misérabilisme, parfois même de manière trop crue pour les européens surprotégés que nous sommes. Le deuxième, ils portent le même regard d’amour sur leurs montagnes. Ce regard, je le connais. Je l’ai vu quand j’étais enfant dans les yeux de mes anciens en Corse, lorsqu’ils regardaient leur île. C’est un regard à la fois emplie de force, d’humilité et de fierté. Et ces kurdes que je rencontre, Rizgar, Esmaell, Rundick, Fread, Big Fread, Bess, Lookman, Schno, Aram et tous les autres, ils ont tous ce même regard. Et moi, je suis fière et humble de me sentir leur amie… 


14 commentaires:

  1. Superbe et très touchant! Est-ce le fameux Risgar sur le photo?
    Evelyne

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    1. Merci Evelyne!
      Oui, c'est en effet Rizgar sur la photo, en habit traditionnel kurde, car il dit qu'il n'y a rien de mieux pour se promener dans la montagne! ;-)

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  2. Hey! C'est bien beau d'avoir des nouveaux amis, mais n'oublies pas tes potes de Madrid!
    Besos,
    Val

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    1. Ben non je ne vous oublie pas! D'ailleurs, l'amitié, comme l'amour, a cette particularité que plus tu en donnes, plus ça grandit...
      Un abrazo fuerte!

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  3. Quel talent Flo! Tu nous ferais aimer même le pire des endroits du monde. Comment ces espagnols t'ont ils laissé partir? C'est pour ça que l'Espagne va si mal depuis que tu en es partie? ;-)
    Continue de nous faire rêver, et prépare les chambres d'amis. Ça va défiler au Kurdistan!
    JP

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    1. Merci! Pas de pb pour la chambre d'amis. Elle est prête! C'est quand tu veux!
      Bises,

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  4. Très touchant! Je ne savais pas que les kurdes étaient si hospitaliers.
    Merci pour ton blog, il est vraiment intéressant.
    Brigitte

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  5. Et si je viens, je pourrais rencontrer Rizgar?
    Enfin, si tu m'invites...

    Philippe

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    1. Bien sûr! Rizgar serait ravi de voir de nouvelles têtes françaises au Kurdistan!

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  6. Tu devrais coller plus de photos sur ton blog, ça a l'air tellement beau!
    Frédéric

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    1. Tu as raison Fred, je vais bientôt faire un post photos...

      Un beso

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  7. je lis attentivement tes articles et bravo .je suis kurde et j'ai quitté le Kurdistan a l'age de 20 ans mais je connais vraiment pas mon pays autant que toi les kurdes aiment beaucoup les étrangers en particulier les français ,profites bien de ce magnifique paysage .

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  8. Merci Simko! Je profite de chaque minute... ;-)

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