lundi 21 janvier 2013

Halabja : ville martyre d’Ali le chimique


Halabja est un passage obligé lorsque l’on vit au Kurdistan.  Le 16 mars 1988, l’homme de main et cousin germain de Saddam Hussein, « Ali le chimique », ordonne à l’armée irakienne d’utiliser des bombes chimiques contre la population de la ville. Bilan : plus de 5.500 morts. Hommes, femmes, enfants. Il suffisait de respirer pour mourir.

Halabja est une petite ville du nord du Kurdistan proche de l’Iran, baignée par un soleil suave et entourée par de majestueuses montagnes aux sommets enneigés.


L’agitation colorée des rues, où tout se vend à la criée au milieu de voitures pressées qui klaxonnent, tranche radicalement avec le calme presque pesant du cimetière qui trône sur les hauteurs de la ville. Là, on découvre des immenses stèles sous lesquelles sont enterrés, dans des fosses communes, bon nombre de victimes du gazage de 1988. L’urgence de la situation interdisant de prendre le temps de les identifier. Puis, lorsqu'on continue de monter, on aperçoit un champ de tombes, où les corps ont été enterrés par famille. On peut lire sur les pierres tombales parfois cinq ou six noms. Toute une famille décimée.


Nous sommes restés dans le cimetière un bon moment, un peu abasourdis par un silence trop lourd et par la vue de cette myriade de pierres dressées vers le ciel.

Puis nous sommes allés au « Musée du souvenir », qui se trouve à l’entrée de la ville. Une grande bâtisse ronde entourée par ce qui ressemble à des mains qui se tendent en implorant vers le ciel pour que l’horreur ne se reproduise plus. Enfin, c’est ce que j’ai cru y voir.


L’édifice renferme les traces du massacre : morceaux retrouvés des bombes assassines, mise en scène du moment où la mort s’abat subitement sur une population affairée dans des tâches quotidiennes, témoignages écrits des survivants, photos poignantes et terribles, reliques surprenantes, salle de la mémoire où sont inscrits tous les noms des victimes sur les murs de marbre noir… En regardant tous ces noms inscrits, je remarque que l’un d’entre eux est encadré en vert.


Je m’en inquiète auprès de Fread, notre fidèle chauffeur-guide-ange gardien, qui m’explique qu’il s’agit d’un homme que l’on croyait mort, mais qui en fait avait réussi à fuir en Iran où il vécut de nombreuses années. Il n’est rentré que l’an dernier à Halabja…

Dans une autre salle attenante au musée, sont exposés des tas d’objets, de documents et de photos. Une jeune femme kurde, avec de grands yeux en amande et l’air grave nous y accueille, et nous commente, grâce à la traduction de Fread, chacune des reliques ainsi exposées. Je vois, dans une boite en verre, une corde, avec, posée au-dessus de la boite, la photo d’un homme. Il s’agit de la photo d’ « Ali le chimique », m’explique fièrement la jeune kurde. Et la corde, c’est celle qui a servi à sa pendaison. 


Elle nous explique ensuite qu’elle avait 8 ans lors de l’attaque chimique à Halabja, et que, elle comme sa famille proche (ses parents et ses frères et sœurs) ont miraculeusement échappé à la mort alors que les gens tombaient foudroyés dans la rue tout autour d’eux. Ses parents sont « seulement » devenus aveugles.

A la fin de l’exposition, nous nous attardons sur une photo avec des enfants assis dans la rue, l’air complètement hagard, à coté d’une camionnette emplie de gens qui venaient de succomber brutalement. A la fin de la visite, la jeune femme kurde nous présente un grand gaillard moustachu au regard doux, à qui nous serrons la main en balbutiant notre « nice to meet you » habituel. C’est un des petits garçons de la photo. Jo le regarde à nouveau, et lui serre fraternellement le bras. De simples gestes. Les mots sont de trop.

Puis, nous sommes repartis vers Sulaymaniyah. Un grand silence dans la voiture. Le paysage est toujours aussi magnifique. Pas possible de parler. Nous quittons Halabja, un autre de ces sites comme il y en a tant dans le monde, où des hommes, des femmes et des enfants sont morts sans comprendre pourquoi.





9 commentaires:

  1. Magnifique Florence! Tu m'as ému!
    Jean-Yves

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  2. Bravo pour ce témoignage poignant.
    M.J.

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  3. Ton Blog est une merveille! Je ne te connais pas, mais j'adore ta façon d'écrire. J'espère que tu vas continuer à poster régulièrement.
    Bonne chance!
    Véronique

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    1. Merci Véronique! Oui, je compte bien nourrir mon blog...

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  4. wow, simplement émouvant
    frédéric

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